À propos...
"L'œuvre de Gustave Moreau, plus que toute autre, vérifie ce propos de Georges Bataille : « La peinture fait écrire ». On trouve en effet peu d'exemples d'œuvres plastiques autant travaillées par le commentaire littéraire, de tentative aussi poussée d'accouchement d'une lisibilité qui s'y trouverait, ou qu'on a cru y trouver ou y retrouver. A ce point que malgré sa « dénonciation de cette opinion imbécile et injuste » qui le présente comme « trop littéraire pour un peintre »1, G. Moreau a vu passer sa fortune par le canal obligé de A rebours et de l'imaginaire fin-de-siècle que ce livre a généré. Couple emblématique des relations croisées du lisible avec le visible, Huysmans et G. Moreau permettent de poser la question de la lisibilité du visible d'une façon qu'on voudrait croire exemplaire – en ce sens où elle devrait permettre de clarifier la façon dont l'image et le mot entretissent leurs langages spécifiques –, mais qui se révèle beaucoup plus insidieuse qu'il n'y paraît. Car si les textes que Huysmans consacre à Moreau se présentent d'abord comme des moments de déploiement du « faire voir », selon la vieille conception de l'ekphrasis, si cette visibilité est censée passer tout entière dans le discours qui la recueille, la lisibilité ainsi induite bute sur l'indécodable et l'indécidable. Borne et lisière du texte, le tableau parle sans doute, mais à la manière de ce sphinx flaubertien auquel la ventriloque de A rebours a prêté sa voix, dans un « terrible duo » (AR, 211) avec la chimère, duo auquel on pourrait peut-être donner un sens allégorique : la visibilité du sphinx n'ôte rien à son impénétrabilité, tandis que la chimère « hérissée », bel avatar du poète inspiré, continue sa quête d'un au-delà du visible."
(Joël Dalançon, Huysmans et Gustave Moreau ou l'illisibilité de la peinture, 2005)[Gustave Moreau, Anges suivant les trois rois mages, Musée Gustave Moreau, Paris]
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